A. N. KOVAL
(Moscou)
«CORDE-SERPENT»:
QUELQUES REMARQUES SUR LA POTIQUE COMPARE
Il est évident que les modes de pensée ne voyagent pas d’une culture à
l’autre dans leur totalité… Il n’y a que les fragments qui ont cette tendance.
EDWARDS, p. 5
Cet article que nous présentons aux lecteurs a pour objet l’étude de certaines correspondances «à l’identique» entre ouvrages philosophiques grecs et hindous. Pour expliciter le terme «à l’identique», il serait utile de rappeler un exemple, parmi les plus connus, d’une telle correspondance. Dans Phèdre, le dialogue philosophique de Platon, on trouve une image développée de la nature psychique de l’homme (246b – 256e) représentée comme un char ailé, qui est tiré par deux chevaux. Cette comparaison est reprise avec des détails similaires dans un fragment poétique de la Kaha-upaniad (KU I. 3. 3–9). Ce parallélisme évident et frappant n’est pas unique, on retrouve de pareilles correspondances «à l’identique» dans toute une série de textes anciens grecs et hindous.
Nul n’ignore les phénomènes donnant lieu à des mélanges optiques basés sur les particularités de la perception de la rétine; si l’on regarde pendant un certain temps une surface en échiquier, il s’opère un renversement de la figure et du fond, d’où une ambiguïté permanente entre l’interprétation des couleurs ou des motifs. C’est cette spécificité optique qu’utilisent les fameuses images
combinatoires, où apparaissent tour à tour, soit deux profils, soit deux vases aux formes bizarres.
On observe des effets similaires en comparant les nombreux textes appartenant à des traditions philosophiques différentes, parfaitement autonomes et autochtones, celles de la Grèce et celles de l’Inde, mais présentant souvent toute sorte de parallélismes évidents. La question se pose: quelle peut être l’origine de cette ressemblance si étonnante et si profonde? Peut-on supposer que les auteurs de ces textes, d’une façon ou d’une autre, aient pu directement ou indirectement échanger leurs idées? Peut-être serait-il plus juste de rejeter une pareille hypothèse et supposer l’existence de certains modèles de la conscience humaine, sorte d’invariants, de structures archétypales, de paradigmes et autres?
En d’autres termes: serait-il justifiable d’introduire l’historicité dans l’étude comparée des œuvres philosophiques en vue d’expliquer les cas de similitude par des contacts et des emprunts directs au cours de l’histoire, ou bien, serait-il plus juste de suivre l’exemple de Mircea Eliade et d’autres, c-est à dire réfuter toute recherche historique et considérer, en bloc, toute coïncidence comme une manifestation d’une tournure d’esprit propre à tous les peuples indo-européens (ou même à l’humanité entière?), façon de penser qui serait un héritage d’une époque si ancienne, si réfractaire à être étudiée à la lumière d’une approche historique, que toute velléité de ce genre disparaîtrait d’elle
même?
Sans exagération aucune, on peut dire que l’exemple de la corde qu’on prend par mégarde pour un serpent est le plus évident et le plus spectaculaire de tous parmi la nombreuse liste des correspondances «à l’identique» qu’on peut observer entre les textes philosophiques grecs et ceux de L’Inde.
Voici en quoi il consiste, en bref.
Cet exemple se retrouve chez Sextus Empiricus quand il évoque la doctrine de la Nouvelle Académie ou, plus précisément, celle de Carnéade (214/12 – 129/28 av. J. C.) dans laquelle il mentionne trois formes de représentations «par l’esprit» ():
! "# $# $·
% & ' ()( * ' +$,
, + -, , -$ , '
.# / , *
' #(0.
[Par exemple, quand une corde () se trouve enroulée dans une chambre obscure, pour celui qui y entre rapidement elle pourrait se présenter «probablement» sous l’aspect d’un serpent ("); mais pour l’homme qui aura regardé minutieusement
alentour et aura scruté les détails, tels que son immobilité et sa couleur, ainsi que toutes les autres particularités, il sera évident qu’il s’agit d’une corde, car cette représentation va correspondre dans son esprit à une probabilité déjà prouvée ( ' #(0)1].
Dans la philosophie hindoue on peut trouver d’étonnantes analogies avec ce passage. Ainsi, dans le traite MK dont l’auteur présumé est Gauapda (VIII s. après J. C., selon la tradition hindoue, ou bien VI s. après J. C. selon d’autres sources) on peut lire :
[Telle une corde (rajju-), qu’on ne reconnaît point dans l’obscurité et que l’on prend pour quelque chose d’autre, l’tm peut nous sembler être un serpent, ou bien un filet d’eau (sarpadhrdi-) ou toute autre chose du même genre.
De même que s’arrête l’activité mensongère de l’imagination (vikalpa-) quand on reconnaît la corde, en disant: «Ceci est indubitablement une corde et tout autre jugement est exclu!», il en va de même pour la compréhension de l’tm»2].
Уважаемый посетитель!
Чтобы распечатать файл, скачайте его (в формате Word).
Ссылка на скачивание - внизу страницы.