L’existence d’une telle mise en parallèle ne se limite pas uniquement à l’Inde; on en rencontre des exemples également au Tibet. Notamment dans des textes appartenant à la religion Bon, la religion tibétaine d’avant le bouddhisme. Ainsi, dans le traité d’un prêtre Bon, Bru-chen rgyal-ba (1242–1290), dans lequel il s’agit d’une forme particulière de méditation, l’A-khrid[13], il existe une liste des erreurs les plus fréquentes de la perception sensorielle (dbang-shes ‘khrul-pa). On y cite, entre autres, la lune double (zla-g yis), la montagne blanche que l’on croit dorée (gangs-ri gser), le coquillage blanc que l’on croit être jaune (dung-ser)[14] et la corde que l’on prend pour un serpent (thung-pa sbrul ‘dzin). La liste s’achève par l’indice sogs (‘ainsi de suite’) qui signifie clairement que ces exemples étaient devenus d’un emploi fréquent et leur quantité pouvait varier selon les besoins.
Bien que la religion Bon soit en quelque sorte opposée au bouddhisme, elle en a fortement subi l’influence. Ainsi la tradition Bon utilise toute la panoplie des «exemples didactiques» bouddhistes. Le traité de Bru-chen rgyal-ba en témoigne, car l’exemple de la «corde-serpent» qui s’y trouve a certainement été emprunté à des textes bouddhiques[15]. Les Tibétains ont adopté le bouddhisme de l’Inde, voici pourquoi on peut certifier que cette image est venue au Pays des Neiges avec de nombreux autres textes bouddhiques qui ont été traduits en tibétain. Au départ, il faisait probablement partie d’un texte ayant appartenu à l’école de Mdhyamika.
En guise de conclusion de cette liste d’exemples «orientaux», qui est loin d’être complète, on ne peut que s’étonner de l’omniprésence et de la pérennité du thème de la «corde-serpent» dans les pays de l’Inde, ainsi que dans tous les autres pays ayant subi son influence; les variations en sont innombrables. Les exemples grecs, en comparaison, semblent assez rares. En fait, nous ne disposons que du fragment de l’œuvre de Carnéade, pas deux fois cité par Sextus Empiricus; ici le thème de la «corde-serpent» est donné dans un contexte qui rappelle d’assez près les textes hindous. Pourtant, à y regarder de plus près, Carnéade place cette image dans un discours philosophique beaucoup plus élaboré ; on ne peut donc justifier son emploi par une simple coïncidence ou bien, le faire remonter à une tradition mythologique ou poétique propre à l’humanité entière. La question se pose: d’ou vient cet emprunt ? D’ou vient, dans le cas présent, «la lumière»?
4. EX ORIENTE LUX?
Cette mise en parallèle a été relevée il n’y a pas si longtemps dans les travaux de A. Frenkian18. Le savant roumain a estimé que le passage cité par Sextus Empiricus pourrait être attribué en fin de compte à Pyrrhon (vers 365–275 av. J. C.), le fondateur du
scepticisme grec; il s’est basé sur le fait que la tradition hindoue use largement de cet exemple, tandis que les textes grecs ne le mentionnent qu’à deux ou trois reprises, dans des textes
parallèles. Pyrrhon aurait pu, selon lui, avoir emprunté cet exemple lors de ses discussions avec les « gymnosophistes » hindous durant son voyage en compagnie de l’armée d’Alexandre de Macédoine. L’hypothèse de Frenkian a ceci de bon qu’elle s’appuie sur les données de la tradition antique. Voici ce que dit à ce propos Diogène Laërce:
Pyrrhon ... fut disciple d’Anaxarque, qu’il accompagnait partout, même au cours de ses rencontres avec les
perfectionnement» (A-khrid than mtshams bco-lnga): KVAERNE, p. 392.
18 FRENKIAN (1957); FRENKIAN (1957–1958), pp. 116–118. Frenkian a relevé cette image chez Sextus Empiricus, Gauapda, a Candrak "$$ ! -Démétrius.
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