Nous sommes en présence d’un traité de rhétorique, non de philosophie. Il se peut que St. Jean Chrysostome ait justement puisé le thème de la «corde-serpent» d’un traité de rhétorique et non point dans des œuvres de philosophie. Voici pourquoi il ne s’agit ici nullement d’un contexte «gnoséologique»; le thème est une illustration plutôt «amusante», c’est-à-dire qu’il appartient à un registre comique. D’ailleurs, dans ce traité, cet exemple est cité sous une forme aussi brève que possible, ce qui fait penser à un lieu commun: une scène de comédie, une anecdote, ou bien un proverbe?
Ce proverbe, nous l’avons retrouvé. Dans un recueil de proverbes d’auteurs à la manière d’Esope il est mentionné au numéro 132; on peut y lire:
[Celui qui a été mordu par un serpent a peur même d’une
corde][26].
Il est curieux de rajouter que ce proverbe est «explicité» dans un contexte qui l’introduit dans un plan «politico-social».
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[Celui qui a eu l’expérience des tyrans, en étant effrayé, évite même leurs tombes].
On pourrait aussi rappeler le proverbe latin que l’on trouve chez Pétrone: Colubra restem non parit (« Le serpent n’engendre point la corde»)[27]. Mais son sens est différent: «Tel père – tel fils», bien qu’il use de la même mise en opposition, basée sur le contraste.
Puisqu’il s’agit de proverbes, on peut ne plus parler de chronologie et essayer de trouver des correspondances «typologiques» du même genre plus à l’est.
Ce proverbe était connu depuis bien longtemps au Tibet, comme en témoigne la variante recueillie par Y. N. Roerich.
Autrefois j’ai été mordu (litt. ‘privé de vie’, srog-bcad) par un serpent venimeux et noir (dug-sbrul nag-po) et maintenant j’ai peur même d’une corde multicolore (thi-gu khra-khra) [28].
Il y a une autre variante citée par Y. N. Roerich:
Prendre une corde multicolore (thag khra) pour un serpent (sbrul) signifie avoir très peu de qch [29].
Il y a aussi une variante différente citée en une autre collection de proverbes tibétaines:
’a ba la sbrul gyis ’thams pa / bu thag pa khra bo la ’jigs / sngon gyi dred pa ’khur ba la zer //
[Le père a été mordu par un serpent (sbrul), et son fils a peur d’une corde multicolore (thag pa khra bo)][30].
Bien sûr, il serait logique de supposer dans ce cas une plausible influence du bouddhisme. Pourtant, des faits propres à d’autres langues n’ayant subi aucun emprunt du bouddhisme viennent infirmer cette supposition.
Ainsi, dans un recueil de proverbes khowars (une des langues dardes de l’actuel Pakistan), cité par G. Buddruss au numéro 10, on trouve le proverbe suivant:
aiyo dir’u roi ai šim’enyo poš’i buxt’ir
[Un homme qui a été mordu par un serpent a peur en voyant une corde multicolore35].
Buddruss qualifie ce proverbe comme étant «universellement répandu» et cite encore d’autres variantes en langues
indoeurop[31]éennes. Par exemple, en langue pashto (dialecte parlé en Afghanistan):
mr-xwalay d p na were
[L’homme mordu par un serpent a peur même de la corde][32].
Le même en hindi s’énonce comme suit:
Mordu par un serpent (sp-k) a peur de la corde (rass)37.
Rajoutons de notre part que ce proverbe est si largement répandu en hindi de nos jours qu’on peut le trouver dans la grammaire de cette langue officiellement éditée en Inde par le gouvernement de le pays:
Il prend une corde (rass) pour un serpent (sp)[33].
Le Tibet, l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan... En allant vers l’ouest, on retrouve ce même proverbe au Caucase, c’est-à-dire dans des contrées largement explorées dès l’époque antique. Ce proverbe existe non seulement répandu dans le folklore ossète ; il est aussi utilisé dans bon nombre de variantes qui en élargissent le spectre. En premier lieu nous retrouvons la formule générale:
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