Corde-serpent: quelques remarques sur la potique compare des textes philosophiques, страница 7

22 Au sujet des contacts de l’Inde avec le monde méditerranéen voir: BERZINA; BONGARD-LVINE; BONGARD-LVINE, EDWARDS, KARPUK.

est arrivé jusqu’à nous dans la version des sceptiques, il serait logique de s’adresser aux pyrrhoniens d’Alexandrie. L’existence d’une telle école ne saurait être mise en doute par les sceptiques eux-mêmes. Ainsi Diogène Laërce (IX. 69) mentionne un certain Hécatée d’Abdère, élève de Pyrrhon, ayant vécu à la cour de Ptolémée I. Il est possible que ce soit lui qui ait fondé l’école sceptique d’Alexandrie. L’histoire a gardé aussi le nom d’Eubule d’Alexandrie (vers 230–100 av. J. C.), un sceptique de la «quatrième génération», élève d’Euphranore de Séleucie qui était, lui, élève du célèbre Timon d’Athènes. Mais ce fut Ænésidème de Cnossos, de l’école sceptique d’Alexandrie, qui en est la figure de proue. Il avait probablement vécu au Ier s. av. J. C., fut l’auteur de nombreux ouvrages ainsi qu’un dialecticien chevronné. Son rôle capital dans la restauration et la systématisation des idées pyrrhoniennes est universellement reconnu. Selon le témoignage d’Eusèbe de Césarée, ce fut lui qui «entreprit à attiser les flammes de ce galimatias»[19].

Ænésidème était, en outre, étroitement lié à la Nouvelle Académie, où le nom de Carnéade était un de plus connus. L’attention d’Ænésidème aurait plus que celle de Pyrrhon ou de Timon, pu être attirée naturellement par l’exemple de la «corde-serpent», car il est connu pour son penchant vers la systématisation (on lui attribue les fameux tropes qui portent son nom).

S’il s’avère que Ænésidème ait effectivement inclus cet exemple dans le système de son école, il est tout à fait probable que les Hindous, curieux de tout savoir, aient pu, à leur tour, l’emprunter soit à Ænésidème lui-même, car sa célébrité était grande et il a vécu assez longtemps pour pouvoir rencontrer personnellement des émissaires venus de l’Inde, soit à l’un de ses nombreux disciples.

Si l’on exclut Ænésidème et les sceptiques, il reste toutefois une autre possibilité d’emprunt. L’Académie d’Alexandrie continuait les traditions de Carnéade et l’emprunt aurait pu se faire directement, la «corde-serpent» aurait échoué en Inde par le biais de l’interprétation académique.

D’Alexandrie la «corde-serpent» aurait pu arriver à l’autre bout de la voie marchande qui la reliait à Malabar, sur les côtes indiennes, dans la région d’Arikamédou. Il est curieux de noter que c’est précisément dans cette région qu’apparaît, selon certaines sources, la doctrine du Praj-pramit[20]. D’une part, cette doctrine présente, indubitablement, des points communs avec l’école du scepticisme grec, d’une autre, — elle constitue la base de Mdhyamika.

Tel serait le chemin le plus complexe, mais au même temps plausible, qu’aurait suivi l’emprunt de cette image, allant ainsi de Carnéade jusqu’à la Mdhyamika et plus loin encore.

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Pourtant, il aurait pu y avoir d’autre voies de transmission. Certains chercheurs estiment que la doctrine du Praj-pramit est apparue non point au Sud de l’Inde, mais au Nord-Ouest, dans la région de Gandhara et de Taxila. C’est là qu’après la campagne d’Alexandre de Macédoine apparurent des royaumes gréco-bactriens qui perpétrèrent durant plusieurs siècle les influences grecques[21].

Cet emprunt grec n’a été ni très forte, ni durable, pourtant elle a laissé des traces. Par exemple, dans les sculptures de Gandhara; certains savants décèlent l’influence grecque dans cette région, fortement influencée par la statuaire d’Apollon chez les Grecs. Dans la sphère des idées, cette influence est incontestable dans le célèbre «Questionnaire de Milinda» (MP) qui prouve que les philosophes grecs avaient eu des contacts directs avec leurs collègues en Inde. Une série de recherches a été effectuée en vue de déterminer l’ampleur et les particularités de l’influence grecque sur le «Questionnaire de Milinda»[22]. Si cet emprunt est indéniable, elle n’a été toutefois que superficielle et fragmentaire, ce qui justifie l’assertion de M. Edwards que nous avons mis en exergue du présent article. Il serait donc plausible d’estimer que le thème de la «corde-serpent» ait fait l’objet d’un emprunt grâce au «bouillon de culture» dans lequel trempaient Hindous et Grecs lors de leurs joutes philosophiques communes. De là, cet exemple s’étant enraciné dans la pensée bouddhique, il a été largement utilisé par les doctrines du Praj-pramit et Mdhyamika.