Corde-serpent: quelques remarques sur la potique compare des textes philosophiques, страница 3

païens. 

3. L’ORIENT

En Inde, les choses se présentent différemment. On peut affirmer que pour la philosophie hindoue, l’exemple de la «corde-serpent» est l’un des plus fréquemment utilisés en qualite de «matériel didactique»[3]. Il se retrouve si souvent chez différents auteurs, même ceux qui appartiennent à des écoles différentes et opposées les unes aux autres, qu’il serait pratiquement impossible de citer de manière exhaustive les cas de son emploi. C’est pour cela que nous allons nous limiter par un survol succinct.

Dans le traité de Gauapda (MK 17–18) on trouve deux distiques (loka-) qui commencent la série des exemples de l’emploi de ce parallélisme dans la                  akara a utilisé volontiers et à maintes reprises l’image de la «corde-serpent». (Il est possible qu’il l’ait empruntée à l’MK de Gauapda)[4]. Dans de nombreuses œuvres de akara, cette comparaison fait partie d’une sorte de liste d’exemples à méditer (V. K. Chokhine les appelle à juste titre «les blocs indissociables de l’apprentissage mystique»)[5].

Tel un serpent pour une corde, de l’argent pour une perle, Les ignorants prennent tout entier le corps pour l’[6].

Dans ce passage, le thème de la «corde-serpent» fait partie de toute une série d’exemples qui tendent à démontrer l’erreur faite par ceux qui confondent l’ avec le corps (de même que l’on prend une perle pour de l’argent, un mirage pour de l’eau, un poteau pour un voleur, etc…). Dans d’autres contextes, cet exemple est cité


séparément, ainsi dans le traité de akara, «La précieuse couronne des différenciations» (VC I. 12):

La certitude de la réalité de la corde (rajjutattva-), obtenue par une investigation correcte, 

Met fin à peur et aux malheurs provoqués par l’image de l’énorme serpent (-), résultat de l’erreur.

L’exemple qu’on trouve dans le traité «Connaissance de l’Atman» ( , 26) est donné dans une perspective similaire: 

rajjusarpavad tmna j va jtv bhaya vahet / nha j va partmeti jt  cen nirbhayo bhavet // 

[Si on comprend comme jva, pareillement comme la corde

va prise pour le serpent, on aurait peur.

«Je ne suis point un jva, je suis le », — ce ayant compris on deviendra intrépide.]

akara, par la suite, l’utilise encore une fois pour illustrer un

exemple de l’erreur gnoséologique de la «superposition» (       -), qui consiste à transférer les qualités d’un objet déterminé à un autre. Ainsi, dans son commentaire du Bhagavadg

(BHGBH, XIII. 26), il écrit :

rajju-  m tad viveka-jñnbhvd asarparaja-samyogavt 

[A cause de l’absence d’une connaissance discriminatoire

(viveka-jñna-), on peut croire à la superposition d’une corde (rajju-), d’une perle etc. avec l’image du serpent (sarpa-), de l’argent, etc. Cette erreur <épistémologique> est appelée     - (l’erreur d’interprétation)].

Nous voyons que dans le cas présent la «corde-serpent» est représentée comme «enroulée», si l’on peut le dire ainsi, ce qui nous renvoie au passage déjà cité du texte de Sextus Empiricus (PH I. 227– 228). Il en va de même du traité Aparoka-anubhti (AA), dans lequel cet exemple se retrouve parmi d’autres cas d’une perception erronée due a une confusion des sens. Cette liste peut être prolongée à volonté ; il existe même une sorte de terme spécial pour la désigner, qui signifie: «ainsi de suite» (di).

Ainsi, le thème de la «corde-serpent» est profondément ancré dans la tradition des Vednta; les représentants les plus connus de cette école s’en servent souvent dans leurs œuvres[7]. Selon l’Advaitavednta, on considère alors le serpent comme un exemple de la force           -à-dire qu’il n’est ni réel — l’illusion du serpent disparaît quand celui qui le regarde dans l’obscurité se rend compte de l’évidence du contraire, ni irréel — puisque cette image a surgi dans son esprit telle une déflagration et lui a fait peur.