Corde-serpent: quelques remarques sur la potique compare des textes philosophiques, страница 10

Celui qui a été mordu par un serpent (kalm) a peur même d’un chiffon multicolore (olon k’imbusj)[34].

Le même exemple sert à mettre en valeur des qualités telles que la prévoyance et la perspicacité:

Si tu vois une corde (bndn) par terre, pense que c’est un

serpent (xelag)[35].

         Ou même la cupidité:

Il est si avide qu’il prendrait un serpent (xelag) pensant que c’est une corde (bndn)41.

Il existe aussi une dizaine de proverbes qui répètent le même thème pour caractériser non point un homme cupide en général, mais celui qui vient de quitter sa famille et doit construire sa propre maison, il manque de tout, voici pourquoi: 

Celui qui construit sa propre maison peut attraper un serpent (xelag) pensant que s’est une corde (bndn).

Ou bien :

 [36]

En voyant celui qui construit sa propre maison, le serpent (xelag) se cache dans sa tanière[37].

On pourrait affirmer que différentes variantes de ce proverbe étaient largement répandues et existent aujourd’hui dans différentes langues d’autres peuples du Caucase. La question qui se pose à partir de ces données est de savoir d’où provient cette mise en parallèle mainte fois reprise et universellement répandue?

2. EUPHEMISME

Il semblerait que c’est de nouveau en Inde qu’on peut trouver une réponse à cette question. Dans deux formules magiques de l’Atharvaveda (AV), tout au moins, le serpent est désigné comme la ‘corde-à-dents’ (datvát rájju):

Que s’éloigne le loup prenant le long chemin;

Que s’éloigne le brigand par le même long chemin;

Que la corde-à-dents aille au loin (párea datvát rájju)[38]...

Nous arrivons ici à la source même du thème en question. Le serpent est désigné dans l’AV par le mot «corde» (rájju-), parce que le mot «serpent» (sárpa-) est tabou, il faut le remplacer par un euphémisme. De telles substitutions ont lieu même de nos jours et se retrouvent partout à une large échelle. En langue russe, par exemple, le mot medved’ pour désigner l’ours est un euphémisme qui a remplacé le terme indoeuropéen anciennement employé. Le mot medved’, par la suite, a continué d’être tabou se substituant par d’autres euphémismes tels que «le maître», «le pataud», «Mikhaïlo Ivanytch», «le général Pied-lourd» et autres.

Les ethnologues estiment qu’une des raisons majeures pour laquelle les euphémismes sont apparus était l’idée que les animaux étaient capables de comprendre le langage humain. Voici pourquoi les habitants de l’Altaï utilisaient pendant la chasse un langage spécial, où «les animaux et certains objets ayant trait à la chasse étaient désignés par des noms de convention, le plus souvent des périphrases»[39]. Les chasseurs Nivhis avaient le même comportement en mer quand «il fallait occulter leurs actes pour que les bêtes sauvages et surtout les esprits marins maléfiques ne puissent déceler leurs intentions»45.

Pour créer un euphémisme, on se servait des tropes du langage. Pour la plupart, c’étaient des métaphores, des métonymies et des synecdoques. On faisait également usage «d’emprunts aux autres langues et de quelques autres procédés spécifiques. Ainsi, les euphémismes employés en altaïen sont souvent d’anciens dialectismes, ou des mots inconnus n[40]’appartenant pas au dialecte altaïen, tels que les emprunts aux langues mongoles»[41].

Certains animaux ont été affublés d’une longue série d’appellations euphémiques. Le plus souvent quand il s’agit d’animaux dangereux ou d’espèces rares estimées comme gibier. En plus, ces animaux considérés comme ancêtres de la tribu en

devenaient le totem. Dans les langues turques (l’altaïen, le yakoute, le dialecte de Touva et autres) pour désigner l’ours on utilise pas moins de trente euphémismes[42]. Pour désigner le loup, il y en a presque autant[43].